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Confessions d'une biffine parisienne

Paris, 28 février 2019.


Martine Huser a 65 ans et biffe à Paris depuis 1972.

Fer de lance de la lutte biffine, elle a contribué avec l’association de biffin(e)s Sauve-Qui-Peut, à l’obtention, en 2009, d’un espace de vente sous le pont de la Porte Montmartre, appelé le Carré des Biffins et géré par Aurore, une association travaillant dans l’accompagnement social.


C’est dans son appartement joliment décoré avec des trésors trouvés dans les poubelles et trottoirs parisiens et avec ses créations issues de la récup’ que Martine me parle, sans pudeur, de ses débuts dans la biffe et me partage les raisons de ses coups de colère, et finalement, de son engagement perpétuel pour la reconnaissance du métier de biffin.


Martine Huser dans son salon. (©The Gold Diggers Project, 2019)

Raconte-nous tes débuts en tant que biffine.


Moi j’ai commencé quand j’avais 17 ans parce que je vivais dans la rue et que j’ai eu un enfant toute seule. Je n’avais pas de travail, je n’avais rien. C’était en 1972.


J’étais à la DASS à la campagne, avant. J’ai commencé à fuguer à 12 ans, jusqu’à l‘âge de 15 ans où ils m’ont rattrapé et remis dans une famille d’accueil.

À ce moment là, j’ai commencé à me dire qu’il ne fallait plus qu’ils me rattrapent et que j’aille dans un endroit où ils me retrouveraient plus.

Donc, j’ai pris le train et je suis arrivée à Paris et là, ça a commencé la galère.


Parce que j’étais toute seule, sans famille, je ne connaissais personne, donc j’ai commencé à galérer dans la rue, à dormir dans la rue et à fouiller dans les poubelles pour manger. Après, j’ai trouvé des petits boulots à gauche à droite, comme femme de ménage, bonne à tout faire. Ça durait un certain temps puis je me retrouvais de nouveau dans la rue et je recommençais la biffe. Et puis de fil en aiguille, j’ai toujours été en train de faire les poubelles pour survivre.


Ça a duré combien de temps le vagabondage dans la rue avec ton fils ?


Ça n’a pas duré très longtemps parce que la police me l’a retiré. Je suis restée à peu prés 6 mois avec lui dans la rue.


À un moment donné je n'avais plus rien du tout et je me suis mise à pleurer sur un banc avec mon fils. Une dame est passé et m’a demandé ce que j’avais « ben là j’ai plus rien à manger et plus rien pour le biberon », alors elle a appelé la police. Et donc la police est venue et m’a emmené à Saint Vincent de Paul – maintenant les Grands Voisins – et je l’ai déposé là-bas. On me la retiré pendant 3 ans, parce que je vivais dans la rue.


Après j’ai trouvé du travail comme bonne à tout faire, j’avais une petite chambre, puis j’ai loué un petit studio qui était mieux que la chambre de bonne et j’ai pu récupérer mon fils. Et après on allait tous les deux faire de la biffe à Montreuil. On vendait directement sur le trottoir. Mais à l’époque c’était tranquille, y'avait pas la police, on nous laissait faire, c’était la belle vie - entre guillemets. On était pas chassé comme maintenant, quoi ! Maintenant, on a l’impression que dès qu’un biffin s’installe quelque part, y'a la police derrière, alors que c’était pas du tout comme ça à l’époque. Bon maintenant, faut dire aussi que les biffins on les voit plus, on est plus nombreux. C’est pour ça que j’évite d’aller en groupe. Ou alors juste avec une biffine ou un biffin, mais j’évite les groupes pour ne pas attirer l’attention.


Pourrais-tu nous raconter une journée type de biffe avec ton fils à Montreuil à cette époque là ?


Bon il venait pas toujours avec moi parce qu’il avait école aussi ! Mais quand je revenais il était toujours intéressé par ce que j’avais trouvé. Il sélectionnait les objets pour lui qu’il allait vendre à la biffe à Montreuil, le weekend. Il jouait au marchand : des fois il gardait de l’argent et parfois il me le donnait et me disait «tu fais pas tout ça pour tien quand même hein ! »

Tête de lit trouvée par Martine dans la rue.

(©The Gold Diggers Project, 2019)


Tu trouvais quoi dans les poubelles ?


A l’époque, on trouvait plus de choses que maintenant. J’allais surtout vers la nourriture, parce qu’il fallait manger. Les objets ne m’intéressaient pas trop, c’est venu après. Puis, j’ai vu qu’il y avait de beaux objets dans les poubelles. Je me suis dit « ah c’est quand même curieux que les gens jettent des choses comme ça, c’est joli ». Et là, j’ai commencé aussi à récupérer des objets et à m’y intéresser.


Tu trouvais quoi comme type d’objets ?


Oh je ne me souviens plus trop. Des postes de radio, des coiffeuses, des petits meubles, des ustensiles, des casseroles, des tableaux … plein de sortes de choses ! C’était varié ! Enfin c’est toujours varié, mais il y a moins de choses. Ce qu’on trouve beaucoup maintenant c’est des vêtements, il n’y a plus les beaux objets qu’on trouvait avant comme ceux que tu vois là dans la maison. Tous ces objets là, c’était la belle époque encore.


Ces beaux masques ont été trouvés dans la poubelle par Martine et décorent maintenant

ses murs. (©The Gold Diggers Project, 2019)


C’était quand la belle époque de la biffe ?


Jusqu’à ce que les politiques s’en mêlent ! Je dirais jusqu’aux années 90/2000. A partir des années 2000, ça a commencé à cafouiller.


Que veux-tu dire par « jusqu’à ce que les politiques s’en mêlent" ? Ils faisaient quoi ?


Ben la chasse aux biffins ! Parce qu’on a commencé à être de plus en plus nombreux. C’est dans les années 2000, qu’a commencé la chasse aux biffins.


Ça consistait en quoi la chasse aux biffins ? Que faisaient les policiers aux biffins ?


Ils viennent, ils sanctionnent avec des amendes, après ils appellent la benne et ils confisquent tous les biens des biffins. Tout ce qu’on a trouvé dans la poubelle, ils le mettent dans la benne.


L’amende était de combien à peu près ?


J’ai jamais bien compris car c’était entre 60 et 150 euros. C’était peut être par rapport à ce que tu vendais.

Et puis bon les policiers se servaient aussi à l’époque, quand t’avais des choses qui les intéressaient. Je ne sais pas s’il le font encore car je ne suis plus assez sur le terrain pour le voir. Je pense qu’ils le font moins quand même car je pense qu’ils sont surveillés. Mais à l’époque, ils remplissaient les coffres.


Tu fais encore de la biffe ?


Oui j’en fais toujours aujourd’hui mais pas au même rythme, parce que déjà je suis plus vieille et j’ai plus les mêmes besoins : mon fils est grand, j‘ai un logement … C’est plus facile maintenant.


C’est plus facile maintenant parc que la biffe t’a aidé à t’en sortir ?


Oui.


Et puis maintenant, je fais des créations avec de la récup'. J’ai fait une exposition dans un magasin en Normandie et là on me sollicite encore pour un autre magasin dans le 12ème, la Belle Recup'. Donc j’arrive à vendre ce que je fais. Et puis il y a même des particuliers qui me demandent de faire quand ils me voient avec des objets « oh il est beau votre sac, ce serait bien que vous m’en fassiez un ».

Et puis ça fait tellement longtemps que je suis dans la biffe, que du monde me contacte pour me donner du tissu, des perles, du fil. Donc je n’achète rien.

Je ne suis plus obligée d’aller fouiller comme avant. Car, comme j’ai un carnet d’adresse bien rempli et que le gens me connaissent, ils m’appellent. Comme hier, j’ai récupéré des tissus. Donc j’ai moins l’envie et la force aussi, d’aller à gauche, à droite, puisque les gens m’appellent maintenant pour que je récupère.


Après évidemment, c’est toujours là, si je vois une poubelle intéressante sur mon parcours, évidemment que je vais plonger le nez dedans ! On ne perd pas la main comme ça du jour au lendemain. C’est plus fort que moi. Toutes les semaines je trouve quelque chose.


Quelques créations de Martine, réalisées à partir de matériaux récupérés

(©The Gold Diggers Project, 2019)

Pourquoi, à ton avis, il y a plus de biffins maintenant ?


Parce qu’avec cette politique là … tous ces gens au chômage, les gens n’ont pas assez de retraite pour vivre et puis tous ces gens qui sont venus d’autres pays. Avant, il y a avait 30 ou 50 biffins à Montreuil, maintenant il y a 100, 200, ou même 300 biffins. Même à Porte Montmartre et Barbès.


Avez-vous essayé de faire des propositions aux différentes mairies ?


Oui. On a quand même démarché à l’époque pas mal de mairie dans Paris, et pas grand monde à répondu à notre appel (à l’exception de la mairie du 18ème, qui a accepté l’ouverture d’un « Carré des Biffins » à la Porte Montmartre à la condition qu'il soit géré par l’association Aurore - NDLR).


Maintenant, ils s’ouvrent des recycleries à Paris, mais c’est très aseptisé. Tout est géré pas la mairie. Ils vont embaucher des gens de leur milieu et ça va faire un genre d’Emmaüs.

Moi je rêve d’un endroit où une mairie permettrait aux biffins de s’auto-gérer.

Je ne comprends pas qu’on puisse pas s’auto-gérer et qu’on doive dépendre d’associations. Moi je veux rester libre. Et beaucoup de biffins sont comme moi, ils veulent rester libre.


J’ai l’impression qu’on est pas encouragé… On a l’impression qu’on nous encourage juste à nous cacher, à courir quand il y a la police. Des choses malsaines quoi.

Alors que nous, on ne demande pas ça, on demande à être tranquilles, et de pouvoir travailler tranquille, de pouvoir exposer ce qu’on trouve dans les poubelles, que les objets aient une deuxième vie. Y'a des beaux objets qu’on pourrait exposer !

La reconnaissance du biffin, c’est important ! Mais on reconnaît personne, je ne comprends pas …


Alors après on nous dit « vous n’avez qu’à avoir un statut auto-entrepreneur », mais tous les biffins ne peuvent pas s’engager là dedans. Et puis, c’est des charges, une comptabilité, il y a beaucoup de biffins qui ne savent pas lire et compter. C’est toute une gestion, c’est un commerce ! Alors que moi je trouve que l’esprit biffin c’est plutôt une philosophie de vie qu’un commerce.


Par exemple, moi je passe 2 ou 3 jours à faire un sac, et je le vends 20 euros. Y'a des créateurs qui font le genre de sac que je fais, ils les vendent 60/70 euros alors qu’ils ont passé moins de temps que moi ou ont payé quelqu’un pour le faire. Non, je trouve qu’on n’est pas reconnus à notre juste valeur.


Et puis il y a des gens qui galèrent. Moi je galère plus comme avant, mais au moins une reconnaissance quelque part et un jour, pour les gens qui viennent derrière moi. C’est pour ça, que moi je milite, que je lutte, que je suis en colère, parce qu’il n'y a rien qui se fait.


C’est pas évident de faire les poubelles, c’est dur, surtout quand il fait froid. Et puis des fois il y a aussi le gardien qui sort, qui t’engueule, qui fait la chasse aux biffins, avec un balai, un bâton…


Et puis tous ces gens sans papiers, faut bien qu’ils fassent les poubelles pour survivre, ils ont pas le choix, parce qu’on leur donne pas le choix non plus !


Donc des biffins, je pense qu’il y en aura toujours. Ils ont beau faire la chasse aux biffins, les biffins seront toujours là. Ça change rien et puis il n’y a rien qui change.

Ce qui change, c’est la répression, encore et toujours la répression. Mais « est ce qu’on pourrait étudier un système pour les biffins ? », pour ça il n’y a personne. Comme quand on avait demandé de nous mettre sur les espaces de marchés, quand il n’y a pas marché. On voulait partager l’espace et être autonome, gérer nous même l’espace.


L’auto-gestion est une chose difficile à envisager par la classe politique, tu ne trouves pas ?


Oui c’est clair. Ils ont besoin d’avoir la main mise sur les gens. Ils ne s’imaginent pas qu’on est capable de se gérer nous-mêmes. Alors que bien souvent les biffins ont justement cette capacité là, parce qu’ils ont toujours été habitués à se débrouiller par eux-mêmes.


Moi, j’ai eu rarement affaire à une assistante sociale dans ma vie, à part dans les moments où ils m’ont enlevé mon fils. Mais après quand je l’ai récupéré, je voulais avoir affaire à elle le moins possible, car j’avais peur qu’on me le reprenne sans arrêt. J’avais peur qu’ils trouvent que ma piaule n’était pas assez garnie, que la nourriture n’était pas assez présente. J’avais toujours cette appréhension à partir du moment où j’ai récupéré mon fils. Les services sociaux, on en a peur, les biffins en ont peur.


Moi pourquoi aussi je ne suis pas allée sur le Carré des Biffins (à Porte Montmartre, géré par l’association Aurore NDLR), parce qu’il fallait présenter tous ces papiers, impôts tout ça … les gens savent toute ta vie. Les biffins, ils sont plutôt discrets, ils n’ont pas envie de raconter leur vie. Et ils n’ont pas envie d’être assistés.

Moi j’ai toujours eu très peur des services sociaux, donc je me suis toujours planquée et débrouillée toute seule.

La biffe c’est un métier de la débrouille et de l’indépendance.


Stand de Martine lors d'un marché de biffins du Satellite, lieu occupé et auto-géré à Aubervillers.

(©The Gold Diggers Project, 2019)


Sans la biffe tu penses que t’aurais pu t’en sortir ?


Non. Moi je pense que sans la biffe, je n’aurais pas rencontré tous les gens que j’ai rencontré et qui m’ont soutenu. Car, quand j’étais dehors avec mon fils, j’ai rencontré des gens qui m’ont hébergé. C’était souvent des gens cultivés et qui avaient des moyens qui m’aidaient. Bon, je les ai pas toujours bien écouté, mais grâce à eux, je me suis aussi cultivé, car ils m’ont appris à lire, écrire et à compter. Je devais avoir 25 ans.

Je suis tombée sur des gens bien.


Je remercie la biffe, car sans sans ces gens là, j’aurais sûrement pas lu Zola, parce que j’aime beaucoup Zola, et j’aurais pas lu Guy de Maupassant, Boris Vian … C’est eux qui m’ont fait connaître tous ces auteurs là, que j’apprécie maintenant, et que je m’intéresse plus à la peinture, à la lecture, aux grands écrivains, à l’art en général parce que j’aime beaucoup l’art. C’est grâce à tous ces gens là que j’ai rencontré à travers la biffe.


Sans la biffe je ne serais pas comme je suis maintenant, je pense.

La biffe m’a apporté beaucoup, malgré toute cette misère, j’en retiens que du bon. C’est pas intéressant de se souvenir des mauvaises choses, sinon on pleure toujours sur son sort. Il faut aller de l’avant.


J’étais mal barrée quand même au départ : ni père, ni mère, ni famille, toute seule avec un enfant. Et puis au début quand t’es dans la rue, tu fais de mauvaises fréquentations, la drogue tout ça, c’est pas évident de savoir gérer tout ça aussi.

Oui, la biffe m’a apporté beaucoup de chose. Je ne retiens que le bon, c’est ma philosophie de vie ! Je ne regrette rien. Je trouve que maintenant j’ai tellement une belle vie. Je ne suis pas riche, la richesse n’est pas dans mon porte monnaie, ça c’est sûr, mais elle est dans mon cœur et dans ma tête.


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