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Affronter le COVID-19 quand on vit de la récupération des déchets - interviews croisées de biffines

Avec le confinement, les biffin.e.s, qui récupèrent et revendent les objets jetés, n’ont plus de lieu de vente : puces, marchés, vide-greniers sont fermés, et tout rassemblement interdit. Interviewées par téléphone, trois biffines racontent la précarité, les risques et la répression qui s’accroissent, le blocage aux frontières des collègues qui ont quitté la France, la solidarité qui s’organise.


Invité.e.s : Anne-Marie, Martine et Lucia, biffines travaillant aux marchés de la porte Montmartre, Croix de Chavaux ou Grands Voisins. Axel, étudiant et soutien aux biffin.e.s de la porte de Montreuil.


Extraits croisés d'interviews réalisées le 23 mars 2020 pour l'émission Zoom Ecologie, diffusée sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM) le 24/03/2020. Pour réécouter l'émission en intégralité, suivez ce lien.


Porte Montmartre, vendredi 20/03, il ne restait plus que les barrières destinées à empêcher les biffin.e.s de s'installer sans autorisation. © Jeanne Guien


Comment ça se passe pour vous, en ce moment ? Vous allez travailler ?


Anne-Marie : Pas du tout, non, au carré des biffin.e.s de la porte Montmartre on a une interdiction absolue de venir pendant 15 jours et je pense que ça va durer plus longtemps. Je vends plus du tout, je récupère rien du tout, je jette les trucs qui sont en mauvais état.


Martine : C’est très calme. On n’a pas le loisir d’aller fouiller les poubelles en ce moment. Avec ce virus qui traîne, on a peur… Je les fais encore un peu, parce que j’ai ça dans le sang, mais je fais très attention, je sors avec des gants. C’est difficile en ce moment : je devais faire le marché des Grands Voisins dimanche dernier, mais ça a été annulé. La saison des vide-greniers allait recommencer, mais va être annulée aussi, donc on peut même pas se greffer sur un vide-grenier, parce qu’il n’y en a pas ! Et comme moi aussi j’ai une santé fragile, il ne faut pas que je m’expose…


Lucia : Toutes les brocantes, tous les marchés des biffin.e.s sont fermés. Moi je reste chez moi et je prends des nouvelles des autres. Le virus a bloqué tout le monde. Certaines familles sont parties en Roumanie, parce qu’elles voulaient fuir le virus ou parce qu’elles n’avaient plus de travail ici. Mais elles sont bloquées, parce que la Hongrie a fermé sa frontière !



Elles sont confrontées à la fermeture des frontières entre la Hongrie et l'Autriche [1] ?


Lucia : Oui ! Avec toutes les familles roumaines qui attendent là-bas, tu imagines ? C’est grave. C’est pas simple pour nous !


Quelles sont les alternatives pour se débrouiller dans les semaines à venir ?


Lucia : Je prends des nouvelles des rroms qui vivent sur des terrains et qui ont besoin de nourriture ou de masques et protections. Puis je donne ces informations à l’association Amelior[2]. L’association monte alors des équipes de salarié.e.s et de bénévoles, contacte des oeuvres de solidarité, et leur rapporte à manger, des masques et du gel hydroalcoolique. Je suis très contente que l'association fasse ça ! Beaucoup d’autres personnes ont peur de rester en France et sont déjà parties. Mais les autres biffin.e.s ont besoin d’argent et continuent de faire leur travail, recycler et récupérer, et prennent des risques.


Martine : Peut-être que certain.e.s vont aller vendre quand même, parce qu’il n’y a pas d’alternative ! Moi je vais me débrouiller, j’ai une petite retraite de merde, mais je me débrouille... Mais quand on est à l’agonie, on fait quoi ? On est obligé d’y aller, au charbon !


Anne-Marie : Moi, je n’envisage rien du tout, rien du tout, j’attends. Je récupère des choses qu’on me donne… L’association Aurore[3] ne nous a pas donné plus d’informations. Je pense que l’équipe a déjà assez de travail avec les gens qui sont à la rue, avec les gens qui ont de gros, gros problèmes, encore pire que des problèmes d’argent… Nous on est 250 au carré des biffin.e.s et il faut s’occuper des gens à la rue. On ne peut pas laisser les gens dehors.


Mais les biffin.e.s sont aussi des personnes en précarité, et cette crise renforce la précarité de leur métier…


Anne-Marie : Il faudra que les biffin.e.s soient aidé.e.s : on sait que nos marchés sont fermés, et que donc il y a un manque à gagner. C’est un métier utile, c’est pas n’importe quoi ! C’est pour l’écologie : il y a beaucoup de gaspillage, je vois ce que les gens jettent, ne serait-ce que dans notre poubelle...

Vous avez l’impression qu’il y a plus de déchets en ce moment ?


Martine : Dans les supermarchés, ça jette toujours autant. C’est fructueux.


Anne-Marie : Oui, il y a des gens qui jettent beaucoup : comme ils sont confinés chez eux, ils sont gênés par les affaires, et jettent.


Des personnes qui profitent du temps de confinement pour faire du tri dans leur maison ?


Anne-Marie : Oui, et en profiter pour jeter !


À votre avis, la police renforce-t-elle la répression des biffin.e.s en ce moment ?


Martine : Les flics sont tout le temps derrière nous, à cheval ! C’est impressionnant… Pas tendre : la dernière fois les mecs à cheval m’ont encadrée, avec deux chevaux, et ont encadré un monsieur très, très âgé, qui était terrorisé, le pauvre… Mais peut-être qu’en ce moment, il n’y en aura pas, des flics, car il y a trop de travail dans le reste de la ville.


Anne-Marie : Dans mon quartier, Château Rouge, il y en a sur le boulevard, dans les rues adjacentes, partout. Les flics passent en vélo, je ne me vois pas en train de faire les poubelles en ce moment.


Vous voulez ajouter quelque chose ?


Lucia : Contactez l’association Amelior[4] pour aider à distribuer de la nourriture et des protections. On a besoin d’aide, de dons, de nourriture et d’eau... De l’eau, pas du Coca, c’est très important ! Car les gens n’ont pas l’eau courante sur les terrains et en ont besoin pour laver, pour boire, pour donner aux enfants.


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Mot sur l'autrice


Jeanne Guien est docteure en philosophie, spécialisée en philosophie des techniques, considérée dans ses enjeux environnementaux et sociétaux (obsolescence programmée, déchets, récupération...). Elle pratique également l'auto-média via le Blog Mediapart, la page Culture Poub ou l'émission radio Zoom Ecologie sur Fréquence Paris Plurielle.


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[1] À ce sujet, lire cet article du Monde, daté du 18 mars 2020.

[2] L’association AMELIOR organise les marchés de la halle Croix de Chavaux et de l’avenue Denfert-Rochereau, et tient également une recyclerie à Montreuil.

[3] L’association Aurore organise le carré des biffin.e.s de la porte Montmartre.

[4] Contact mail : assoamelior@gmail.com. L’association peut également être contactée par sa page Facebook ou par l'intermédiaire de ce formulaire en ligne.






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