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De Dakar à New York, les récupérateurs et récupératrices en danger

La propagation du coronavirus à travers le monde renforce particulièrement la précarité et la vulnérabilité des personnes qui, chaque jour, collectent, récupèrent et revendent les déchets. Des associations d’Inde, du Sénégal, d’Afrique du Sud, des États-Unis ou des Philippines donnent voix à leurs difficultés et leurs revendications.


Dans un article précédent, nous faisions le point sur la situation des biffin.e.s (personnes qui récupèrent et revendent les objets jetés) en Île-de-France : le confinement a entraîné la fermeture de leurs lieux de vente (marchés, puces, vide-greniers), tandis que les risques de répression et de contamination découragent beaucoup de faire les poubelles. Ce faisant, beaucoup doivent choisir entre santé et revenus, survie médicale et survie économique. Certaines associations comme Amelior se consacrent à l’aide alimentaire, et beaucoup de familles roumaines ont voulu quitter la France, se retrouvant parfois bloquées aux frontières de la Hongrie. Dans le secteur de la collecte, l’insuffisance de la protection des éboueu.r.se.s, conduisant parfois à l’exercice de leur droit de retrait, a largement été observée ces dernières semaines. La ministre de la Transition Ecologique et Solidaire, Elisabeth Borne, a même déclaré jeudi 2 avril au Sénat (dans le cadre d'une audition dématérialisée) qu’ « il n’y a pas besoin d’avoir des équipements de protection particuliers » pour collecter les ordures ménagères[1].


À travers le monde, les récupérateurs et récupératrices de déchets semblent également confronté.e.s à cette double contrainte : travailler pour survivre (alors que leurs débouchés économiques sont très fragilisés) et assurer un service essentiel à la santé publique (au risque d’exposer leur propre santé). La Global Alliance of Waste Pickers, fédération des associations qui les défendent aux quatre coins du monde, a recueilli et publié certains de leurs témoignages. Aux Philippines, les associations rapportent un manque d'équipements, demandent une aide alimentaire et l’inclusion des récupérat.eur.rice.s dans les programmes étatiques d’aide à l’emploi : « nos familles n’auront rien à manger si nous ne travaillons pas »[2].


A Takia-Kale-Kha, Delhi, les jeunes filles assurent des missions de prévention auprès de la communauté des récupérat.eur.rice.s. © Association Chintan

En Inde, l’Alliance of Indian Waste Pickers réclame également un soutien financier, sanitaire et alimentaire au premier ministre, qui a qualifié le 19 mars les récupérat.eur.rice.s de « défenseu.r.se.s de la nation »[3]. À Delhi, on estime en effet que 150 000 personnes traitent 2000 tonnes de matériaux par jour[4], contribuant significativement à la propreté et au recyclage dans cette agglomération peuplée par plus de 16 millions de personnes. Ce sont pourtant les associations qui sont aux avant-postes de la prévention : l’association Chintan déclare avoir pris en charge la formation des enfants de récupérat.eur.rice.s à Delhi, initiant aux gestes barrière et à la fabrication de mouchoirs et masques en tissu recyclé[5].




A Takia-Kale-Kha, Delhi, les jeunes filles assurent des missions de prévention auprès de la communauté des récupérat.eur.rice.s. © Association Chintan


New-York est la ville des Etats-Unis la plus touchée par le coronavirus. Nous avons contacté par courriel l’association Sure We Can, qui tient un centre de recyclage à Brooklyn, où les canners (personnes qui récupèrent les canettes vides) peuvent les revendre à l’industrie, moyennant un système de consignes. La fondatrice, Ana de Luco, dit constater une diminution de l’activité de 50% au mois de mars, et a mis en place des mesures de distanciation pour réduire le personnel et les contacts. Selon elle, la moitié des canners continue de travailler, un nombre qu’elle s’attend à voir augmenter après la crise, car beaucoup de personnes ont perdu leur emploi ces dernières semaines aux Etats-Unis. Elle rapporte également que les canners d’origine asiatique, nombreu.x.ses à New-York, ont été victimes du racisme observé en France au début de la pandémie : « la plupart se sont retiré.e.s de l’activité dès le début de la pandémie. […] Certain.e.s ont été harcelé.e.s, comme si on les accusait d’avoir causé l’arrivée du virus à New-York ». Menacée d’expulsion sur le lieu qu’elle occupe depuis 10 ans, l’association a bénéficié, du fait de la crise sanitaire, d’un moratoire sur les expulsions. « Plus que jamais, nous avons besoin d’un local sécurisé, afin de servir une population qui va rencontrer de grosses difficultés pour gagner sa vie dans les mois, voire dans les années, à venir. »[6]


Canners travaillant à Sure We Can, juillet 2016 © Jeanne Guien


En Afrique du Sud, dans un communiqué publié par Globalrec, l’association SAWPA demande au gouvernement de rendre obligatoire le tri sélectif et d’ « abandonner le système du tout-venant ». Une demande qui s’adresse aussi à la population sud-africaine : « nous demandons aux citoyen.ne.s de ce pays d’appliquer à l’unisson le tri sélectif à la source et d’adopter les principes du zéro déchet »[7]. Au Sénégal, la population est pour l’instant astreinte à un couvre-feu. Contacté par téléphone, M. El Hadji Mallick Diallo, président de l'association des récupérat.eur.rice.s de la décharge publique de Mbeubeuss à Dakar, témoigne : « on n’a pas encore de cas mais tout le monde pense qu’on va être les premières victimes de cette maladie. […] Les mouchoirs qu’on va jeter, ils vont aller à la décharge ! ». Alors que l’association n’a reçu qu’une petite quantité de masques et de gants, les savons et détergents manquent, et les débouchés économiques des activités de récupération (revente, recyclage, ferraillage) sont au point mort. Le président de l’association dit attendre des « actions sociales » pour celles et ceux qui travaillent sur la décharge, dans laquelle sont déversées 2400 tonnes de déchets par jour : « personne ne vient à notre chevet, alors que nous sommes des sénégalais lambda. Personne n’a le courage. »


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[4] « In Delhi, 150,000 such persons recycle at least 2000 tons of paper, plastic, metals and glass daily. They save the municipality upto a crore a day. A Chintan study shows this group saves 3.6 more times greenhouse gases in Delhi alone, compared to any other waste project in India receiving carbon credits. Unfortunately, they are treated like the waste they handlestigmatized and brutalized by society. » Chintan Environemntal Research and Action Group, Waste pickers : Delhi’s Forgotten Environmentalists ?, 2018, p. 7.



[6] L’association a mis en place une pétition en ligne, adressée au maire de New York, pour soutenir sa demande de rester dans le local occupé à Brooklyn.


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