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[FR] Où vont nos déchets : la Chine à l'origine d'un bouleversement mondial?

Bac jaune* pour cette bouteille en plastique, fastoche ! Mais où jeter ce pot de yaourt ?

Trier ses déchets ça reste facile pour peu qu'on lise attentivement les règles sur le petit papier fourni par la mairie (la gestion des déchets est une compétence communale ou intercommunale), mais que devient la bouteille de jus d'orange (avec pulpe) que je viens de jeter ? Elle atterrit dans je-ne-sais-quel centre de tri à proximité de ma commune, mais après ? Elle est recyclée et termine en polaire Quechua ?


* attention la couleur des bacs de tri n’est pas uniforme au niveau national. Chez vous elle est peut-être vert bouteille ou bleu canard.


Oui, peut être mais pas de façon aussi directe.


Dans les pays du Nord, les systèmes de gestion des déchets sont souvent sophistiqués et le fruit de lourds investissements (mais pas forcément efficaces). Certaines installations fonctionnent depuis plusieurs décennies, aussi faisons-nous aisément confiance au système en place et ne nous posons pas la question de la destination finale de notre détritus.

Dans le reste du monde, la récupération des déchets recyclables est réalisée en grande partie de manière informelle, dans les rues, en porte à porte ou dans les décharges. Ceci est particulièrement le cas dans les régions où le service public fait défaut et où le tri à la source est inexistant. Dans les régions urbaines à forts écarts sociaux, les chiffonniers viennent en général se substituer au service public de collecte de déchets. Plus flexibles, ils permettent en général d’augmenter les taux de recouvrement (surtout dans les zones rurales ou en périphérie) et de recyclage.


Au Sénégal, les récupérateurs informels passent dans des quartiers non couverts par la collecte municipale.

Au Brésil, les catadores sont responsables du recyclage de 90% de l’aluminium.

En Colombie, les recicladores sont facilement visibles dans les quartiers piétons, ou lors d’évènements festifs (générateurs en déchets hautement rémunérateurs, comme l’aluminium qui composent les canettes de bières).

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Andrès, reciclador à Medelin (©The Gold Diggers Project, fev 2018)

Peu importe votre lieu de résidence, votre bouteille en plastique va d’abord faire un long voyage passant de main en main avant d‘effectivement se transformer en votre fidèle compagnon de soirées hivernales chez votre tantine du Berry, car nos déchets recyclables font en réalité l’objet de transactions commerciales à l’échelle internationale.


Nos déchets flirtent avec la bourse


Nos déchets sont, quand ils sont recyclables, des matières premières secondaires, qui ont une valeur de marché. Aussi font-ils l’objet de flux commerciaux internationaux motivés par des besoins industriels, de l’émergence de pays tiers (Chine, Inde, Turquie), et de l’appréciation des cotations des matières recyclées sur les marchés. Ils sont donc très dépendants du prix des matières premières vierges et de la conjoncture économique internationale.

Circulation internationale de plastique P.E.T., papier, aluminium, ferraille, de déchets électroniques et de textiles usagés (Réalisation : Laboratoire LISST, Université Toulouse-Jean Jaurès / CNRS, Production Mucem 2017)

A l’échelle mondiale, les plus gros exportateurs de déchets recyclables (eu égard à leur forte consommation) sont les pays européens et les Etats-Unis.

La Chine est le principal importateur : entre 32 et 38 millions de tonnes de conteneurs de plastique PET, papier et aluminium sont envoyés tous les ans vers l’actuelle première puissance économique mondiale.


Cette tendance s’est particulièrement amplifiée ces 20 dernières années.

A titre d’exemple, en France les exportations ont augmenté de 75% entre 1999 et 2012.


La Chine, pierre angulaire dans ce commerce international, n’hésite pas à investir au delà de ses frontières. Aux dires de récupérateurs rencontrés à la décharge de Dakar (la décharge de Mbeubeuss), des entrepreneurs chinois se seraient installées sur la décharge pour broyer du plastique et l’importer en Chine. Une concurrence étrangère à même la décharge, ils ne s’y attendaient pas, et moi non plus !


Harouna Niass, secrétaire général de l’association Bokk Diom des récupérateurs de la décharge de Mbeubeuss (Dakar). (©The Gold DIggers Project, nov 2017)

La Chine a dit stop !

Alors la Chine, poubelle du monde ? Elle semble plutôt être le principal pays à avoir assumer le rôle de recycleur, et d’encaisser des conséquences environnementales assez dramatiques faute de réglementation sanitaire ambitieuses et de moyens pour des quantités si importantes de déchets à traiter.


Seulement depuis janvier 2018, la Chine a décidé qu’elle cesserait d’importer les détritus du reste du monde, afin de se concentrer sur le recyclage de ses propres déchets et pour préserver son environnement. Les sanctions se veulent exemplaires : minimum 5 ans de prison pour tout importateur qui transgresse la loi.


Une opportunité de développement du recyclage au plus proche de nos poubelles ?

Cette nouvelle va-t-elle provoquer un chaos sanitaire ? Ou plutôt représente elle une opportunité de développement de l’industrie du recyclage au plus proche de nos poubelles ?


Car ces cartes montrent aussi que pour les pays européens (à quelques exceptions près) et les Etats-Unis, les importations sont moins importantes que les exportations de recyclables.


Après 20 ans d’exportations vers la Chine, les pays développés (mais moins “développés” que la Chine, soit dit en passant), doivent maintenant réfléchir à la mise en place d’une politique de valorisation des déchets qui est efficace, efficiente économiquement et sobre énergétiquement, si elle veut pouvoir respecter les objectifs de l’Accord de Paris en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.


En réaction à cette décision chinoise, le Royaume-Uni a annoncé la mise en place d’un plan en quatre points pour le traitement des déchets plastiques qui inclut la diminution de la quantité de déchets en circulation, la réduction du nombre de types de plastiques, et la facilitation de leur recyclage.


En France, les 10 premières filières de recyclage existantes (ferrailles, métaux non ferreux (aluminium et cuivre), papiers et cartons, verre d’emballage, plastiques d’emballage – le PET des bouteilles d’eau et le PEhd des bouteilles de lait –, les déchets du bâtiment à destination des techniques routières et les chiffons textiles) permettent d’éviter l’émission de 25 millions de tonnes de C02, soit les émissions du transport aérien français.


Réalisation The Gold Diggers Project (Source : Ademe)

Pas de quoi crier « cocorico », car la France fait pâle figure à côté de ses voisins européens. En matière de recyclage des emballages plastiques, elle est classée avant-dernière des 28 pays de l’Union Européenne : 22% seulement, contre 31% en moyenne européenne. En cause : l’absence d’une politique volontariste et des emballages encore trop consommateur de plastique (les emballages représentent 62% des déchets plastiques), mais surtout un manque d’expertise en la matière.


Bien qu’il y ait eu des efforts de réalisés de la part des plasturgistes – près de la moitié d’entre eux s’étant approvisionné en plastique recyclé en 2016 – la majorité des industriels évoquent la difficulté de savoir vers où s’approvisionner et de connaître les caractéristiques techniques du plastique recyclé nécessaire à la conception des produits.


Alors la France, à la traine et pas assez ambitieuse sur la question du recyclage ?

Impulsé par l’Accord de Paris, l’Union européenne et la loi de transition énergétique en application depuis 2015, le gouvernement a présenté en juillet dernier le Plan Climat, qui donnerait une place centrale à l’économie circulaire, qui selon ses principes de base doivent favoriser la réduction, la réutilisation et le recyclage de nos déchets. Les détails de la feuille de route de ce Plan Climat, appelé “Feuille de route économie circulaire”, sont actuellement soumis à consultation publique, et seront révélés fin mars 2018.

Y sont par exemple proposés, le déploiement des poubelles de tri dans les espaces publics, la (re)mise en place de la consigne, et la simplification et harmonisation des règles de tri des déchets sur le territoire.

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Des objectifs ambitieux nécessaires

L’Union européenne a annoncé des objectifs de 50% d’emballages plastiques recyclés en 2025 et 55% en 2030.

La loi de transition énergétique vise la diminution de moitié la mise en décharge des déchets valorisables et la la promotion de l’utilisation des ressources à l’échelle des territoires (réduction des exportations).

Le Plan Climat prévoit le recyclage de 100% des plastiques d’ici à 2025.

 

En attendant de pouvoir répondre à ces objectifs, et en réaction à l’arrêt des exportations vers la Chine, les professionnels français vont tout d'abord tenter de trouver un moyen d'exporter ces déchets en moyen-export, vers des pays comme la Turquie ou l'Inde, deux nations qui nous achètent déjà de grandes quantités d'acier et de métaux, et l’incinération va sans doute augmenter, comme l’a rappelé Jean-Philippe Carpentier, président de Federec (Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage).



Une occasion pour les chiffonniers de tirer leur épingle du jeu ?


En France, ces évolutions nous permettront-elles de tendre vers une politique de gestion de déchets plus sobre énergétiquement ? Et favoriseront-elles une économie plus solidaire et locale, qui reconnaîtrait l’utilité sociale et écologique des marchés de biffins ?


Ils existent plusieurs milliers de biffins en Ile-de-France. Ceux-ci récupèrent des objets abandonnées, souvent récupérés dans les poubelles, pour les revendre (et parfois après leur avoir donné une nouvelle vie). Faute d’assez de places de vente autorisées (il n’existe que 3 marchés autorisés), ceux-ci doivent pour la grande majorité vendre à la sauvette, s’exposant ainsi aux amendes et à la répression policière. Seulement, ces marchés permettent d’éviter les émissions de C02 de l’équivalent de 650 voitures et à plusieurs milliers de personnes en situation de précarité d’arrondir leurs fins de mois.

Dans le cadre du Plan Climat, l’association Amélior - avec le soutien d’autres acteurs associatifs, comme MakeSense - négocie actuellement auprès de la Mairie de Paris pour la création de nouveaux espaces de vente autorisées dans l’Est parisien.



Extrait de l'infographie sur les biffins en Ile-de-France (MakeSense, Rues Marchandes, Amélior, Aurore, 2016)

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Au niveau international, si l’arrêt de la demande chinoise n’aurait pas encore impacté les chiffonniers, maillon de base de la chaîne de récupération, celle-ci ne tarderait pas à perturber toute la filière de récupération.

Aussi, l’apparition de nouvelles filières de recyclage plus locales, avec éventuellement moins d’intermédiaires ne pourrait-elle pas permettre aux récupérateurs informels d’obtenir de meilleures conditions de travail ?

Dans le moyen terme, leur parole ne pourrait-elle pas peser davantage lors de négociations avec des entreprises et autorités publiques ?


En parallèle à ce récent bouleversement, ces 20 dernières années sont particulièrement marquées par la fermeture progressive des décharges, nocives pour l’environnement et le réchauffement climatique (le méthane qui s’en dégage a un potentiel de réchauffement 25 fois supérieur à celui du C02), mais également grand “employeur” pour beaucoup de chiffonniers dans le monde.


Depuis février 2005, le mécanisme de développement propre (MDP), établi dans le cadre du Protocole de Kyoto permet d’obtenir des financements pour la construction de centres d’enfouissement technique, dans la mesure où ces installations permettent de limiter le rejet du méthane dans l’atmosphère (par valorisation ou combustion). Beaucoup plus techniques et coûteuses, ces nouvelles installations nécessitent un détournement des flux de matières valorisables, pour augmenter leur durée de vie. Des centres de tri naissent donc aux abords de centre d’enfouissement technique.


Les chiffonniers à qui les portes de la décharge sont définitivement fermées, doivent trouver un nouveau lieu de travail.

Dans ce sens, des experts du monde entier s’accordent de plus en plus pour encourager la mise en place de politiques inclusives en faveur des chiffonniers pour les nombreux avantages économiques, écologiques et sociaux qu’elles confèrent. Au delà de la mise en place de systèmes de gestion de déchets plus durable favorisant le recyclage, il serait donc question d’inclure les acteurs informels aux schémas généraux de gestion de déchets

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D’intéressantes coopérations et démarches de concertation peuvent ainsi en découler, à l’instar du nouveau centre d’enfouissement technique de Meknes (Maroc) où l’extraction des matières valorisables a été confiée aux chiffonniers qui travaillaient dans l’ancienne décharge, désormais fermée. Suez, l’entreprise gestionnaire du site, a accompagné ces chiffonniers dans la constitution d’une coopérative.

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Chiffonnier de la coopérative Attadamoune, Centre d'élimination et de valorisation de Meknes (©The Gold Diggers Project, oct 2017)

En vue de la future fermeture de la décharge de Mbeubeuss, à la fois désastre écologique et sanitaire et plus grand “employeur” du Sénégal, les autorités publiques mènent actuellement des discussions avec les récupérateurs de l’association Bokk Diom qui souhaitent maintenir et améliorer leur emploi. (article plus détaillé à suivre).


Dernière assemblée générale de l'association Bokk Diom des récupérateurs de la décharge de Mbeubeuss (©The Gold Diggers Project, nov 2017)

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