Contexte #3 - Les biffins en France?
"Nous ne sommes plus du temps des chiffonniers", me diriez-vous ? Non, nous sommes du temps des biffins !
"Biffins" c'est ainsi que les actuels wastepickers français se font appelés. Sans pour autant avoir de chiffres précis, on considère que Paris est la ville qui en dénombre le plus. En 2010, on estimait que 2000 personnes vivaient de la biffe en Île-de-France. Ce chiffre est en constante hausse en raison des conjonctures socio-économiques et géopolitiques actuelles.
Instant étymologique : biffe, biffer, biffin, d’où ça vient ?
" De « biffer » : rayer, écorcher, abîmer. Abîmés comme l'étaient les objets vendus par les chiffonniers.
Ou même d'avant : les biffins, comme on appelait les fantassins, les soldats d'infanterie aux uniformes rayés (biffer : rayer) qui plus tard ont donné leur nom aux chiffonniers parce qu'ils portaient comme eux, dans leur dos, une hotte.
Ou bien c'est autre chose. Et biffin (biffer : barrer, annuler, détruire), c'était d'abord un mauvais nom, pas qu'une question de rayure, un nom mauvais qu'on donnait aux chiffonniers comme aux soldats d'infanterie, parce qu'ils étaient petits, petites gens sans valeur.
Ou bien, autre hypothèse, c'était un mauvais nom mais qu'on donnait aux chiffonniers les premiers, avant les fantassins. C'était d'abord la biffe : pierre faussement précieuse, et puis la biffe en général : objets, tissus, ferrailles de mauvaise qualité, et les biffins leurs vendeurs.
En tout les cas « biffin », c'est comme ça qu'on nommait, dans l'argot du XVIIIe siècle, les chiffonniers de Paris. "
Extrait de "Les Biffins récupérateurs-vendeurs, Guide Indigène de la Ville ", Collectif Rues Marchandes.
La biffe, c'est de la débrouille : on collecte ce qui nous semble pouvoir être facilement revendu. Revendre des matières recyclables n'étant pas aussi intéressant que dans d'autres pays d'Europe (mais qui a donc décidé de supprimer la consigne ?!), les biffins vivent de la récupération-vente d'objets abandonnés, souvent trouvés sur les trottoirs ou dans les poubelles. Ces objets peuvent également être issus de dons ou de stocks personnels.
De fait, contrairement à la collecte des ordures qui relève davantage d'un service sanitaire, les biffins récupérateur-vendeurs d'objets, occupent une activité marchande dans une forme contemporaine d'économie populaire, qui a, de tout temps, forgé l'histoire de la ville de Paris et dont les biffins représentent aujourd'hui les uniques porte-drapeaux.
De part la récupération d'objets abandonnés, les biffins n'en restent pas moins les ambassadeurs d'une "économie circulaire de la rue", et doivent, malheureusement, faire face aux même défis que les wastepickers du reste du monde : un manque de reconnaissance sociétale et politique couplée à une répression policière entraînant une précarisation et une marginalisation accrues.
En France, les bénéfices de leur métier sont peu connus du grand public; et les biffins n'ont, pour la plupart, pas connaissance de la dimension internationale de leur métier, et sont peu optimistes sur leur avenir.
C'est le point de départ de The Gold Diggers Project.
Quand les chiffonniers décoraient les boites de chocolats (Exposition Vie d'Ordures, Le Mucem, 2017)
Plus de places pour pouvoir travailler dignement
Un marché de biffins, c'est comme un marché aux puces, mais en beaucoup moins cher !
En Île-de-France, seuls 3 espaces de ventes sont autorisés pour les biffins :
Le Carré des Biffins, Porte Montmartre, 100 places. Géré par l'association Aurore. Tous les samedis, dimanches, lundis, toute la journée.
Le marché de La Croix de Chavaux, à Montreuil, 200 places. Géré par l'association Amélior.
50 places dans le prolongement du marché aux puces de la Porte de Vanves. Tous les samedis et dimanches après-midi.
Le problème majeur pour les biffins est bien le nombre de places de ventes autorisées : seules 350 places dans tout Paris.
Faute de places, la majorité des vendeurs se retrouvent alors à vendre à la sauvette, s'exposant ainsi à la police, et en cas d'arrestation, la peine est double et lourde : confiscation de la marchandises et amende (pouvant représenter une semaine de chiffre d'affaire). En plus de la repression policière, les biffins souffrent d'une très mauvaise image de la part des riverains.
Stop aux idées reçues sur les biffins
"Les biffins sont des voleurs" : faux. Le métier des biffins est basé sur la récupération et la revente d'objets, en soit, comme un brocanteur. Ils ne sont pas à confondre avec les receleurs et les vendeurs de contrefaçons, bien que ces derniers vendent également à la sauvette. Sur les marchés autorisés, seuls les biffins sont acceptés.
"Les marchés aux biffins sont très sales" : à nuancer. La détérioration de l'espace public vient principalement du fait qu'un biffin qui vend à la sauvette doit souvent abandonner sa marchandise quand il est pourchassé par la police. Le marché autorisé de Croix de Chavaux à Montreuil en est le parfait contre-exemple : autogéré par les biffins eux-mêmes, la place est entièrement nettoyée après chaque marché, au point où des riverains ne savent même pas qu'il s'agit d'un marché de la biffe.
"Pourquoi ne vont-ils pas aux vides greniers comme tout le monde?" : à Paris, une place de vide-grenier coûte environ 15€ le mètre minimum, beaucoup trop cher pour les biffins dont le chiffre d'affaire journalier dépasse difficilement les 20€ les jours de chance.
"Pourquoi ne travaillent-ils pas chez Emmaüs ou des ressourceries ?" : ce n'est pas chose aisée. D'abord, il n'y a pas assez d'emplois d'insertion pour tous les biffins. En outre, bien que la Mairie de Paris ait annoncé des engagements en matière de développement de ressourceries, celles-ci se développent trop lentement. Par ailleurs, nombreux sont les biffins qui tiennent à leur liberté d'entreprendre et à leur indépendance, et puis tant qu'il y aura des pauvres et des objets dans les poubelles, il y aura des biffins !
Les bénéfices environnementaux de la biffe
Une étude conjointement menée par le Collectif Rues Marchandes et MakeSense a permis d'évaluer que les biffins parisiens permettraient d'éviter le rejet C02 d'environ 650 voitures par an.
Par ailleurs, une étude de l'institut anglais, le WRAP, estime que la stratégie financière la plus efficiente pour lutter contre le réchauffement climatique était la réutilisation d'objets.
Estimation du bénéfice environnemental d'un stand moyen de biffin en Île-de-France [1]
[1] Extrait de l'infographie issue de l'étude d'impact de la biffe en Ile-de-France, MakeSense et le Collectif Rues Marchandes, A. DELAUNAY-BELLEVILLE, R. SLIMANI, 2016.